Antiquarks – KÔ
Coin Coin Productions
Après quelques pérégrinations par-delà la stratosphère avec « Cosmographes », deuxième album d’Antiquarks convoquant des forces astrales nous incitant à regarder au-dessus de nos têtes, notre équipe nous revient plus fort que jamais, en sextet, et cette fois-ci les pieds bien sur terre avec son troisième album studio, « Kô » soit « corps » en créole, et croyez-nous, ça bouge! Surprise supplémentaire puisque le disque est accompagné d’un magnifique livre d’art de 40 pages illustré par Merryl Zélia !
Métissage et abolition des barrières stylistiques sont ici au rendez-vous et si le groupe faisait déjà transparaître au travers de sa musique un véritable discours social corrélant raison et sensibilité, esprit et corps, discursif et intuitif, monde d’ici et d’ailleurs, Richard Monségu et Sebastien Tron continuent de faire de leur création un langage et de leur langage une universalité. Un est tout et tout est un dans cette danse fraternelle où l’unicité revêt autant de formes distinctes que l’humain n’a de bigarrures. Le sextet nous invite ici à nous débarrasser de notre exuvie et à nous exalter au travers de compositions toujours plus intrépides, cette fois plus groovy qu’autrefois. Entre les mélopées orientales aux sonorités joyeusement disgracieuses de «Pigs Bridge» et parfois même rock avec la guitare saturée de «Teçekkür», et une esthétique aux inspirations africaines notamment avec le magnifique « Dyab » ou encore «Rockya Couba», mon morceau préféré de l’album auquel est invité Bouréima Kiénou, on ressent à la fois une volonté d’échapper à toute bienséance et à toute rectitude, et à la fois un besoin continuel de renouer avec un héritage perdu, comme une manière de célébrer une culture qui a longuement inspiré notre bande de hardis et qui se rapproche au plus près du langage corporel. Ici donc, la palette est encore une fois tout sauf monochrome et on prend un plaisir immense à regarder le paysage se dévoiler progressivement au fil de l’album tant l’habileté et la générosité de nos enlumineurs est forte. Ode à la liberté, grand cri d’émancipation face aux visions corsetées et à l’uniformisation des corps, Antiquarks vient chambouler nos espaces et nous emporte dans un tumulte jubilatoire. Ca chante en créole, en arabe, en allemand, ça joue sur les temps, les contretemps, la preuve avec «Shake It» et son étonnante rythmique chaloupée, ce qui témoigne d’une nécessité toujours plus importante de communiquer avec le monde dans toute sa diversité, puisant son entrain dans le cœur des opprimés. Superbe moment de douceur également partagé avec Sophie Lou que nous propose le groupe avec «Papageno Papagena», reprise de la célèbre pièce de Mozart « La Flûte enchantée », subtile mélange de genres à la candeur ingénue, l’espièglerie et la chaleur lyrique, le tout chanté en allemand. En somme, Antiquarks nous pousse sans cesse à réécrire l’histoire, conglutinant l’intellect et le primitif et redistribuant les cartes à sa façon en semonçant des forces du passé, ce que l’on ressent sur «Aman», véritable rituel incantatoire à l’atmosphère arabo-andalouse et à la méchante ligne de basse funky auquel Ismail Mesbahi prête sa voix. Les quelques invités à partager le moment de délivrance que constitue cet album se montrent tous plus convaincants les uns que les autres et on ressent une connivence certaine, particulièrement lors du magnifique « Western Dark Side », chanson jazz aux allures Méthenyennes, influence déjà présente sur le précédent album, accompagné à la voix par la gracile blueswoman Pura Fé.
En définitive, « Kô » est un album explosif et multiethnique aux couleurs rock, funk, jazz, nous livrant une world music progressive totalement désinhibée qui semble ne pas se préoccuper une seconde des étiquettes tant son appétition pour les formes plurielles et la réconciliation est dévorante. Véritable hymne à la vie et aux corps mouvants, plaidoyer sagace contre la société capitaliste marchande et
l’encagement des formes musicales actuelles, « Kô » est la juste continuité d’une œuvre inclassable, ambitieuse et truculente. Résultat, ça donne un cocktail diapré, un corps polymorphe qui balance un gros coup de pied dans les conventions et dont les mots d’ordre seraient :
« Bouge ton kô »!
Personnel :
Richard Monségu : Chant, percussions
Sébastien Tron : Vieille électro, MAO, chœurs
Jean-Claver Tchoumi : Basse, chœurs
Guillaume Lavergne : Clavier, guitare, cor, chœurs
Julien Lachal : Sax alto et ténor, clarinette basse, flûtes ethniques
Guillaume Chapel : Batterie
Plus d'infos sur : http://www.antiquarks.org/
Toutes leurs dates : http://www.antiquarks.org/agenda/
Tibo
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