COMMENT SURVIVRE DANS UN MONDE MISOGYNE ?
La haine, je l’ai tous les jours ou presque. Dès que je pose un pied hors de mon appartement, elle me guette, menaçant de me tomber dessus à chaque instant. Et souvent, elle le fait. Elle surgit lorsque, dans le premier métro, un inconnu attend que ma copine soit sortie du wagon pour s’asseoir en face de moi et poser sa main sur mon genou. Elle me prend au cœur quand, alors que je marche en jupe dans la rue, un homme me lance : « va mettre un pantalon ! ». Elle me tord le ventre quand, en quittant l’appartement de mes amis à minuit passé, je me rends compte que j’appréhende mon retour chez moi, tout ça parce que je porte une robe sans collants par 25°C. J’ai la haine quand j’attends quelqu’un seule devant une porte d’immeuble, qu’un mec me propose d’aller niquer, et que devant mon refus, il se contente de rester là, à côté de moi, et de patienter, comme si j’allais changer d’avis parce qu’une femme seule qui attend, elle est là pour rien d’autre.
Quand j’ai pas la haine pour moi, je l’ai pour les autres. Pour la nana qui se fait traiter de pute par deux connards parce qu’elle leur a fait comprendre que sa jupe ne veut pas dire baise-moi ; pour le groupe de fille qui se fait suivre par des lourdingues aux paroles lubriques, pour la femme dans le bus dont le mari lui hurle d’aller bouffer ses morts et lui envoie son pied à 20cm du visage, devant son gosse, devant tout les passagers. Et qui finit par m’insulter parce que, incapable de faire autre chose, j’ai osé lui lancer un regard horrifié.
Ce soir, c’est pire que tout. J’ai pris le métro vers minuit. Dans mon wagon, un homme qui parle fort avec son voisin réclame un mouchoir à la ronde. La jeune femme assise en face de moi le dépanne d’une lingette. L’homme accepte avant de demander :
Quand j’ai pas la haine pour moi, je l’ai pour les autres. Pour la nana qui se fait traiter de pute par deux connards parce qu’elle leur a fait comprendre que sa jupe ne veut pas dire baise-moi ; pour le groupe de fille qui se fait suivre par des lourdingues aux paroles lubriques, pour la femme dans le bus dont le mari lui hurle d’aller bouffer ses morts et lui envoie son pied à 20cm du visage, devant son gosse, devant tout les passagers. Et qui finit par m’insulter parce que, incapable de faire autre chose, j’ai osé lui lancer un regard horrifié.
Ce soir, c’est pire que tout. J’ai pris le métro vers minuit. Dans mon wagon, un homme qui parle fort avec son voisin réclame un mouchoir à la ronde. La jeune femme assise en face de moi le dépanne d’une lingette. L’homme accepte avant de demander :
- C’est des lingettes intimes ça non ? C’est pour nettoyer le vagin ?
Elle ne répond pas. Elle a l’expression de la nana qui en a déjà vu des vertes et des pas mûres et qui se dit « et merde, encore un con ». Ma station arrive, elle descend aussi. Sans échapper aux délicates salutations du jeune homme qui s’époumone :
- Allez salut toi ! T’es bonne hein ? J’aimerais bien nettoyer ton vagin !
Voilà. C’est le moment où, généralement, la haine me tombe dessus. Mais là, mon cerveau met pause. Il s’interrompt le temps d’imprimer ce qu’il a entendu et, cette fois, je l’entends réagir sur un ton différent de d’habitude. « Non, pitié. Dis-moi que je ne viens pas d’entendre ça. Dis-moi que c’est impossible d’être aussi insultant, avec autant de nonchalance, envers quelqu’un qui n’a rien fait de mal ; pire, qui vient de rendre un service. Dis-moi que c’est pas possible ». Ce soir, la haine met du temps à monter parce que, pour la première fois depuis longtemps, je sens poindre le désespoir.
Je me rappelle pas de la première fois où ça m’est arrivé, mais aussi loin que je me souvienne, et comme tant d’autres filles, à treize ans je me faisais déjà emmerder par des connards qui m’interpellaient pour me demander mon âge depuis leur voiture, qui insistaient pour me raccompagner chez moi, qui profitaient de la foule pour me toucher les fesses. Et pourtant, à treize ans, j’en mettais pas beaucoup des jupes, crois-moi. Treize ans, c’est jeune. J’ai grandi, j’ai appris à me défendre, à ouvrir ma gueule, à repousser ceux qui me manquent de respect, à leur montrer mon refus de leur comportement. J’ai lu des tonnes d’articles sur le harcèlement de rue et dans les transports, je les ai partagés, je me suis sentie forte aux côtés de toutes ces femmes qui vivent les mêmes choses que moi, et qui ont décidé de ne plus se laisser faire. Je me suis aussi sentie soutenue par tous ces hommes qui déplorent ouvertement la façon dont certains nous manquent de respect, nous voient comme des objets, des trous à remplir.
Mais là, ce soir… En entendant les insanités sorties de la bouche de ce mec, je perds confiance. Alors que ça fait des années que j’agrandis, comme toutes les femmes, la collection de remarques sexistes et irrespectueuses récoltées sur mon passage, qui font partie de mon quotidien, que je deviens capable d’anticiper, de prévoir dans les trente mètres précédents l’insulte… L’outrage de ce soir, qui ne m’est même pas adressé personnellement, me blesse comme une balle et me laisse là, ahurie par tant d’irrespect. Et désespérée. Parce que toutes ces années à se battre, à se forger une armure, et des moyens de défense, si aujourd’hui encore, on en est là, alors ça a servi à quoi, ça a changé quoi ?
La haine revient. Et ce soir elle fait encore plus mal que d’habitude. Parce que oui, j’ai envie de plaquer ce putain de salaud contre un mur et de lui cracher à la gueule, « c’est comme ça que tu parles à un être humain ? ». Mais je le fais pas, bien sûr. Parce qu’il est grand, baraqué, et qu’il parle fort pour bien montrer qu’il assume ses propos, ce connard. Intervenir auprès d’une nana qui se faisait emmerder, je l’ai fait, une fois ou deux, mais jamais face à un gars comme ça. La dernière fois que ça m’est arrivé, le mec était complètement saoul, carrément paumé, et pour être honnête, en cas de danger physique, la fille aurait pu le repousser et le semer. Mais sur le coup, j’ai juste voulu qu’elle sache qu’elle était pas seule, que quelqu’un d’autre s’indignait qu’on puisse la faire chier parce qu’elle était meuf et seule, au sein d’un wagon où tout le monde s’en battait les couilles. Mais là, je peux pas. Parce que j’ai trop peur. Du haut de mes 1m60, Dieu sait ce qu’il pourrait me faire si j’osais hurler ce que je pense des mecs comme lui. Me pousser contre un mur, me faire bouffer la lingette, me mettre des patates jusqu’à ce que je vire inconsciente. Voilà, j’ai trop peur. Et ça me fout la haine d’avoir peur.
Mais là, ce soir… En entendant les insanités sorties de la bouche de ce mec, je perds confiance. Alors que ça fait des années que j’agrandis, comme toutes les femmes, la collection de remarques sexistes et irrespectueuses récoltées sur mon passage, qui font partie de mon quotidien, que je deviens capable d’anticiper, de prévoir dans les trente mètres précédents l’insulte… L’outrage de ce soir, qui ne m’est même pas adressé personnellement, me blesse comme une balle et me laisse là, ahurie par tant d’irrespect. Et désespérée. Parce que toutes ces années à se battre, à se forger une armure, et des moyens de défense, si aujourd’hui encore, on en est là, alors ça a servi à quoi, ça a changé quoi ?
La haine revient. Et ce soir elle fait encore plus mal que d’habitude. Parce que oui, j’ai envie de plaquer ce putain de salaud contre un mur et de lui cracher à la gueule, « c’est comme ça que tu parles à un être humain ? ». Mais je le fais pas, bien sûr. Parce qu’il est grand, baraqué, et qu’il parle fort pour bien montrer qu’il assume ses propos, ce connard. Intervenir auprès d’une nana qui se faisait emmerder, je l’ai fait, une fois ou deux, mais jamais face à un gars comme ça. La dernière fois que ça m’est arrivé, le mec était complètement saoul, carrément paumé, et pour être honnête, en cas de danger physique, la fille aurait pu le repousser et le semer. Mais sur le coup, j’ai juste voulu qu’elle sache qu’elle était pas seule, que quelqu’un d’autre s’indignait qu’on puisse la faire chier parce qu’elle était meuf et seule, au sein d’un wagon où tout le monde s’en battait les couilles. Mais là, je peux pas. Parce que j’ai trop peur. Du haut de mes 1m60, Dieu sait ce qu’il pourrait me faire si j’osais hurler ce que je pense des mecs comme lui. Me pousser contre un mur, me faire bouffer la lingette, me mettre des patates jusqu’à ce que je vire inconsciente. Voilà, j’ai trop peur. Et ça me fout la haine d’avoir peur.
Image issue du projet crocodiles
J’ai la haine de voir à quel point cette violence fait partie de mon quotidien, tout en étant parfaitement intégrée par la société. J’ai la haine de devoir assumer la jupe que je porte, en sachant pertinemment qu’à tel ou tel coin de rue, je vais me manger des remarques. J’ai la haine d’être sur la défensive, de jeter des regards furieux à des mecs qui si ça se trouve voulaient juste me demander leur chemin, tout ça parce que j’ai trop souvent été abordée par des relous et que maintenant j’anticipe. J’ai la haine de voir une partie de la population masculine tirer dans les pattes de l’autre - celle des mecs qui sont du côté du respect - en faisant passer l’homme pour un animal assoiffé de cul et incapable de retenir ses pulsions.
Comment survivre dans un monde misogyne ? Putain, ce soir, je sais pas quoi répondre à ça. J’essaye de m’accrocher, à mes principes, à mon besoin de respect, en tant qu’être humain et en tant que femme. Je m’accroche à celles et ceux qui se battent avec moi pour quelque chose qu’on devrait pas se battre pour avoir. Je continue de repousser violemment les plus gros connards, et d’expliquer aux plus gentils, quand je m’en sens capable, pourquoi je n’aime pas qu’ils m’approchent de la sorte. Je m’accroche aux lueurs d’espoir. Comme ce mec un jour, dans la rue, qui m’a dit : « Vous êtes jolie ». Il a pas attendu que je m’arrête, il a pas attendu de réponse, il a lancé son compliment et il a tracé sa route. Un vrai compliment qui fait chaud au cœur, pour des centaines de remarques humiliantes, misogynes ou déplacées.
Alors oui, je vais continuer de me battre pour être respectée, pour être traitée dans la rue, dans les transports, dans les lieux publics, comme un être humain respectable. Promis, je vais continuer. Mais ce soir, j’ai juste envie de pleurer.
Comment survivre dans un monde misogyne ? Putain, ce soir, je sais pas quoi répondre à ça. J’essaye de m’accrocher, à mes principes, à mon besoin de respect, en tant qu’être humain et en tant que femme. Je m’accroche à celles et ceux qui se battent avec moi pour quelque chose qu’on devrait pas se battre pour avoir. Je continue de repousser violemment les plus gros connards, et d’expliquer aux plus gentils, quand je m’en sens capable, pourquoi je n’aime pas qu’ils m’approchent de la sorte. Je m’accroche aux lueurs d’espoir. Comme ce mec un jour, dans la rue, qui m’a dit : « Vous êtes jolie ». Il a pas attendu que je m’arrête, il a pas attendu de réponse, il a lancé son compliment et il a tracé sa route. Un vrai compliment qui fait chaud au cœur, pour des centaines de remarques humiliantes, misogynes ou déplacées.
Alors oui, je vais continuer de me battre pour être respectée, pour être traitée dans la rue, dans les transports, dans les lieux publics, comme un être humain respectable. Promis, je vais continuer. Mais ce soir, j’ai juste envie de pleurer.
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